Nous n’irons pas a New York. Nous n’irons pas aux Maldives. Nous ne mangerons plus de sushis. Nous ne nous appellerons plus. Je ne porterai pas ton enfant. Je ne t’attendrai plus au pied de mon immeuble. Nous ne nous aimerons plus. Tu pars, je reste. Peut être le contraire. Je perds le sens du Nord. Je ne sais plus quoi faire de mon corps. Il est ballant, tout entier, lesté de centaines de bulles de plombs, pustules d’avant, kystes de futurs avortés. Il faudra m’en débarrasser, un à un. Il faudra inciser dans le tendre pour me séparer de toi, pour de bon cette fois. Passer la lame entre deux artères descendre vers le ventre, ouvrir en grand. Laisser sortir les humeurs et les vices, les envies et les bis. Nous n’irons plus, mon amour, c’est ainsi, c’est pour de vrai cette fois, tu me l’as dit.
Nous avons essayé avant, partir, se regarder de loin, lâcher la main de l’autre, sauter dans le grand bain. Nous avons échoué, toujours, liés par le nombril, jumeaux maléfiques. Nous n’irons plus, le cordon se disloque, les chairs sont putrides, il faut s’y résoudre, il faut grandir. Tu me serres mais tu n’es plus la. Je serre les restes, les cendres, le vide. C’est rassurant. Ton odeur reste dans l’air encore quelques minutes, c’est comme si rien n’avait changé. Je me gave des dernières molécules de toi, je voudrais les attraper et les enfermer, un bocal pour ma soif, une boîte secrète pour les jours de manque. Nous n’irons plus, tu as raison, tout cela ne mène à rien, tout cela nous pese et nous fatigue. Bien sur nous nous aimons. Bien sur. Et alors. Nous sommes trop vieux pour nous en satisfaire. Nous sommes trop grands pour nous cacher les yeux derrière nos mains collantes, nous sommes arrivés, terminus, fin de la voie, dehors, plus rien.
Tu pleureras longtemps, en descendant du train. Gare de Lyon, RER, quelques minutes pour te refaire bonne figure. Je me pelotonnerai contre la vitre du taxi. J’essaierai de ne pas t’écrire. Je regarderai mon téléphone en espérant que tu le fasses. Tu ne le feras pas, et tu auras raison. Rien ne me consolera de toi. J’irai mieux bien sur, j’irai bien. Mais ta branche restera cassée, elle ne guérira pas. Je te garde tout mon amour. Je te souhaite d’être en paix. Je voudrais pouvoir t’´imaginer heureux. T’imaginer être à nouveau l’homme que tu étais toutes ces années avant nous. Avant la peur et l’ennui et l’angoisse et la mort et les cris et les ratés et les mensonges et le temps qui ne nous oublie jamais. Sois heureux mon amour, nous n’irons pas ensemble, tu iras avec d’autres, j’irai ailleurs peut être, dès que mes jambes me porteront, promis. Maintenant nous descendons du train et le quai tout au bout nous séparera. J’avance a tous petits pas.
Je ne sais pas ce que tu t’es raconté toi, toutes ces années. Je ne sais pas ce que tu as inventé pour tenir. Bien sur tu m’as trompé, bien sur tu m’as menti, bien sur tu m’as déçu, bien sur tu m’as fait violence. Je ne t’en veux pas. Je ne m’en veux pas non plus. Je constate, je ne regrette pas. Je suis comme ces conducteurs qui ralentissent pour regarder les accidents, je suis aussi morte sur le bas côté. Il y a les corps, les lumières, le sang, et les secours qui s’activent pour me réanimer. De battre mon coeur s’est arrêté. Pourtant je me regarde du dehors, et je continue à avancer. J’ai juste ralenti pour me regarder réapprendre à respirer. Nous sommes liés à tout jamais dans ce grand accident, dans ce grand incendie qui nous a animé. Il me reste les débris, les eaux usées, et cette plaque si lourde qui m’empêche encore de vibrer. Je ne t’aime plus mon amour tu sais, cette fois je suis guérie, mais je suis trop abîmée. Ma tête m’interdit les embardées, je sens pourtant que je tremble, je me sens vivre, je me sens désirer, mais la plaque retombe sur mes doigts crispés au bord du bitume, je reste tout dessous, dans la pénombre avec ma peur, mes regrets, la lumière n’est pas franche, je devine à peine les marches qu’il me reste à grimper, je m’accroche, je vais y arriver. J’ai cherché les explosifs, les sensations, les expériences, pour me faire exploser, mais ca ne fonctionne pas. J’ai besoin de temps, pour la première fois, moi qui fait tout vite, moi qui suis toujours pressée. Je te quitte chaque jour un peu, petit morceau par petit morceau, souvenir par souvenir, je t’abandonne un peu plus chaque minute, deux ans après. Je règle à présent ce que j’aurai du affronter avant. J’étais trop occupée à faire semblant.
J’apprends à être moi, à dire ce dont j’ai vraiment besoin. Je ne joue plus à être parfaite pour toi. Ca a été long. Arrêter de me demander ce que tu penses, si tu aimes, et si tu me voyais. Commencer à trouver qui j’étais sans toi, juste moi, sans déguisement et sans pression. Cultiver mes bizarreries, loin de ton jugement, de ta volonté de bien présenter, m’autoriser à explorer, à ne pas avoir de plan, à me laisser aller à moi sans avoir peur de ce que je vais trouver. Je reste persuadée que tu me connais mieux que quiconque. Mais tu n’as jamais voulu me connaître en entier, elles ne t’intéressent pas, mes pulsions et mes envies, tu avais trop peur des tiennes pour me les laisser partager. Je me suis façonnée à ton moule, cela n’a pas suffit, je me suis oubliée, ce n’était pas assez. J’ai compris, plus jamais. J’ai de la peine pour celle que j’ai été. Je l’embrasse et je la prends contre moi dans les moments de doute, je la rassure, elle a pris le devant de la scène pendant 10 ans à tes côtés, c’est notre tour maintenant, c’est elle et moi, et toutes mes insécurités, c’est mon histoire douloureuse, mes daddy issues, c’est ma peur panique de n’être jamais bien aimée, ce sont mes compulsions, mes qualités, mon humour et mes grands yeux, on est tous là, on y va, on a arrêté de flipper.

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