L’ascenseur

J’aime pas les ascenseurs. Ce truc encastré dans le béton qui va et qui vient à la merci d’un ordinateur maléfique. Descend ou monte, après tout tu ne contrôles rien, c’est Hal et les machines, tu pousses un bouton mais c’est une illusion, il suffit d’un rien, d’un fil ou d’un conduit, pour que les portes se referment ou que les rouages s’emballent, pour que ta tête vienne s’écraser 6 étages plus bas dans un amas  sanguinolent de câbles et de sacs de courses remplis. Et puis il y a l’espace, ou plutôt le manque d’air, le manque de portes et de fenêtres, les lumières artificielles qui ne te montrent jamais comme tu aurais voulu être. C’est le lieu des déceptions, des coups de fils coupés, des mots perdus, des cabas qui se renversent, du canapé qui ne veut pas rentrer, des déménagements et des emménagements, des bébés qu’on oublie. Et la culpabilité. Ce truc que tu n’imagines pas. Parce que les gens me regardent toujours quand je rentre, parce que je prends trop de place, parce qu’il y a une limite de poids. Alors dans ma tête, c’est les chiffres et les lettres, je me mets à additionner les poids supposés de ces étrangers, cette dame au manteau de fourrure semble malingre, mais son chien obèse compense, cet homme trop musclé doit souffrir de son IMC classé en obésité, et cet enfant, quatorze kilos, peut-être quinze, et moi, 480, encore 120 avant que la sonnerie de surcharge ne retentisse, on ne pourra pas m’accuser, on ne pourra rien dire, ce n’est pas de ma faute, cette fois je n’y suis pour rien. Et pourtant la machine refuse de s’élever et je sens les yeux qui se collent dans mon dos et qui m’accusent, l’homme tousse et la dame soupire, il faut que quelqu’un se décide à sortir et bien sur c’est moi, parce que je suis la plus lourde et que c’est de ma faute, si l’ascenseur ne décolle pas et si mon père ne m’aime pas.


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